024…

De toutes les bases de l’ANGE, les installations qui avaient été les plus secouées durant le tremblement de terre étaient celles d’Alert Bay. Située dans une zone de failles de la Colombie-Britannique, sa structure en acier avait été rudement mise à l’épreuve et certains de ses murs en béton, endommagés. Heureusement, les trois quarts du personnel avaient été mutés ailleurs au pays après le Ravissement, si bien qu’il ne restait qu’une vingtaine de membres lorsque le cataclysme avait frappé la Terre toute entière.

Christopher Shanks se rendit compte de ce qui s’était passé seulement lorsque l’éclairage d’urgence de son bureau s’alluma. Il était assis sur le sol, coincé entre le mur et sa table de travail, et il avait du mal à respirer.

— Ordinateur… murmura-t-il, souffrant.

Il ne reçut aucune réponse et comprit que les communications internes étaient interrompues. Il bougea d’abord les jambes et constata qu’elles étaient libres. Il poussa donc sur le lourd meuble afin de se créer suffisamment d’espace pour se redresser. Dans la pénombre, il vit ses livres et ses dossiers éparpillés sur le plancher. En explorant le fouillis, il trouva finalement son téléphone, toutefois, il était hors service.

— Mais qu’a-t-il bien pu se passer ? s’étonna-t-il.

Il appuya sur le bouton de son ascenseur personnel, mais, sans électricité, ce dernier ne pouvait pas fonctionner. Christopher dut donc se résoudre à utiliser la sortie d’urgence. Une fois qu’il eut dégagé la trappe dans le plancher, il parvint à la soulever, à son grand soulagement, car c’était la seule façon de quitter son bureau et d’aller chercher des secours. Les marches de métal de l’escalier en colimaçon lui semblèrent solides et il se mit à descendre. Lorsqu’il arriva à l’étage du long couloir, identique dans toutes les bases, il fit glisser le verrou et poussa la porte. Le corridor était également éclairé par les lampes de secours.

— Il y a quelqu’un ? appela-t-il.

Il poursuivit sa route jusqu’à la salle des Renseignements stratégiques, comme le dictait la procédure, mais la porte refusa de s’ouvrir lorsqu’il inséra le cadran de sa montre à l’endroit prévu.

— Ça ne va vraiment pas bien.

Il baissa les yeux sur sa montre dont le cadran avait été fracassé lors de sa chute. Sans ce dispositif, il ne pouvait pas donner les impulsions à la montre qui l’aurait mis en contact avec son personnel ou avec d’autres directeurs. Il entreprit donc de démonter le panneau de contrôle à la gauche de la porte en utilisant son couteau suisse et remercia ses parents de l’avoir forcé à étudier l’électricité lorsqu’il était jeune, avant qu’il découvre sa passion pour la physique quantique. Ce furent ses travaux en électromagnétisme qui avaient attiré l’attention de l’ANGE. Elle l’avait alors embauché dans ses laboratoires privés de Vancouver. Il avait longtemps servi l’Agence à titre de physicien avant de travailler sur le terrain comme agent à Toronto et à Vancouver.

En manipulant les fils à l’intérieur de la boîte électrique, il parvint à faire glisser la porte. Si l’ordinateur central avait été actif, il aurait tout de suite bloqué cette intrusion, mais, apparemment, plus rien de fonctionnait. Les trois techniciens qui travaillaient aux Renseignements stratégiques, au moment du séisme, lui sautèrent dans les bras tellement ils étaient soulagés de voir quelqu’un de vivant et surtout une porte ouverte sur l’extérieur.

— Dans quel état est la base ? s’informa aussitôt Shanks.

Les génératrices maintenaient la circulation de l’air, mais elles ne pourraient tourner à ce régime que durant quelques jours. Il leur faudrait effectuer les réparations aux systèmes essentiels avant de suffoquer.

— Pouvons-nous communiquer avec l’extérieur ?

— Pas pour le moment. Toutes les antennes et les coupoles ont dû être endommagées. Votre montre fonctionne-t-elle ?

— Non. J’ai fracassé le cadran en tombant.

Malheureusement, seul le directeur en portait une à Alert Bay. Le reste du personnel comprenait des techniciens et des formateurs.

— Nous allons devoir nous mettre au travail tout de suite, avant de ne plus pouvoir respirer. Si nous n’avons fait aucun progrès dans quatre jours, nous remonterons à la surface. Avez-vous été capables de déterminer s’il y a des survivants ou même l’étendue des dommages ?

— Nous sommes aveugles sans l’ordinateur central.

— Alors, commencez par le remettre en fonction et laissez la porte ouverte. Je vais aller vérifier chaque salle.

L’accès aux Renseignements stratégiques requérait l’autorisation de l’ordinateur central ou les vibrations spécifiques d’une montre de l’ANGE, mais celui aux différents laboratoires ne nécessitait qu’un code à quatre chiffres qu’on entrait sur un petit clavier. Christopher tapa le premier en retenant son souffle. La porte s’ouvrit dès qu’il eut retiré son doigt du dernier chiffre. Ces dispositifs étaient donc branchés au système d’urgence. Le directeur inspecta ainsi chacun des locaux de l’étage principal, puis remonta dans l’escalier en colimaçon pour faire le même examen à celui au-dessus. La seule porte qui refusa de s’ouvrir fut celle du hangar, car elle exigeait l’utilisation de sa montre.

Shanks finit par rassembler tout le personnel de sa base aux Renseignements stratégiques au bout d’une heure. Ceux qui avaient été blessés par des objets tombés sur eux durant le séisme furent installés dans un coin, tandis que les autres se divisaient en équipes pour effectuer les réparations qui s’imposaient.

S’il n’était pas très doué avec les logiciels, Shanks se débrouillait cependant fort bien avec la quincaillerie informatique. Il se glissa dans un conduit pour voir l’état des fils de l’ordinateur central et répara ceux qui avaient été arrachés. A la fin de la première journée, il remercia le concepteur de la base qui avait relié les douches au système de secours, car il avait bien besoin de se laver. Il mangea avec ses employés et coucha même dans les dortoirs des recrues avec eux, prenant le soin de laisser les portes ouvertes, ce qui, finalement, s’avéra fort judicieux, car la première réplique les coinça presque toutes dans le plancher. Si elles avaient été fermées à ce moment-là, ils auraient été pris au piège.

Ils ne dormirent que quelques heures et se remirent tout de suite au travail, comprenant que la base risquait de devenir leur tombe s’ils ne parvenaient pas à réparer l’ordinateur qui leur ouvrirait les portes du hangar. Il y avait évidemment les silos dont les échelles atteignaient la surface, mais cela représentait une escalade de plusieurs heures et ceux qui avaient été blessés aux jambes seraient bien incapables de grimper Christopher ne voulait plus qu’une chose : évacuer sa base de la manière la plus efficace possible.

Ils réussirent d’abord à rétablir l’électricité à peu près partout, puis travaillèrent d’arrache-pied pendant plusieurs jours à remettre l’ordinateur central en marche. Christopher regrettait d’avoir laissé partir Vincent, qui aurait réglé cette fâcheuse situation en un tour de main. Ses techniciens n’étaient pas des génies, mais ils avaient tout de même été formés dans les meilleures écoles du pays, alors, au bout de centaines d’heures de travail, ils finirent par entendre un bip dans les haut-parleurs. Encouragés, ils redémarrèrent le système et se croisèrent les doigts.

— ALERTE GEOLOGIQUE ! furent les premiers mots de l’ordinateur.

— Dites-moi ce qui a secoué la base, ordonna Shanks.

Le cerveau informatique ne répondit pas tout de suite.

— C’est Christopher Shanks, directeur de la base d’Alert Bay, qui vous le demande.

— JE RECONNAIS MAINTENANT VOTRE VOIX, MONSIEUR SHANKS. MES CAPTEURS M’INDIQUENT QU’IL Y A EU UNE IMPORTANTE ACTIVITE SISMIQUE A TRAVERS TOUT LE PAYS.

— Tout le pays ? s’étonna-t-il.

— JE PEUX ETENDRE MES RECHERCHES PLUS LOIN.

— Pas maintenant. Établissez une communication avec Mithri Zachariah.

Il y eut encore quelques instants de silence angoissant.

— LES ANTENNES NE REPONDENT PAS.

— S’agit-il de réparations que je peux effectuer moi-même.

— JE PEUX VOUS GUIDER PAR LE BIAIS DE VOTRE MONTRE.

— Le cadran a été mis en pièces quand je suis tombé dans mon bureau.

Un des techniciens lui fournit aussitôt un petit écouteur et le synchronisa à la fréquence de l’ordinateur. Un autre alla lui chercher la veste dans laquelle étaient rangés tous les outils dont il aurait besoin. Shanks entreprit alors l’escalade de l’échelle dans le silo qui contenait tous les câblages et la tuyauterie. « Quand je pense que je rêvais de faire ça quand j’étais jeune… » se rappela-t-il en cherchant son souffle.

Il s’arrêta à tous les endroits où les secousses avaient abîmé les branchements et referma les gaines déchirées. Au bout de quelques heures, il se retrouva à la surface, dans une salle qui se situait juste au-dessus de la base. Ce centre contrôlait plusieurs antennes paraboliques, installées sur le toit. Il vit que l’une était fendillée et qu’il ne pouvait pas la réparer, mais il rebrancha au moins les fils.

— Recevez-vous quelque chose ?

— LE NOMBRE DE RENSEIGNEMENTS QUI NOUS PARVIENT A LA SECONDE EST TRES IMPORTANT.

— Je redescends.

Trempé de sueur, Shanks se défit de la veste et se planta devant le plus grand des écrans.

— Maintenant êtes-vous en mesure de me dire quelque chose ?

— PLUSIEURS BASES DE L’ANGE ONT TENTE DE COMMUNIQUER AVEC NOUS. ELLES ONT TOUTES SUBI DES DOMMAGES PLUS OU MOINS IMPORTANTS.

— Les bases du Canada ?

— CELLES DE TOUTE LA PLANETE.

Le directeur décida de ne pas perdre de temps à débattre dans son esprit la possibilité d’une catastrophe mondiale et exigea d’entendre le reste des nouvelles dont il avait été privé pendant plusieurs jours. L’annonce du départ étrange de Mithri lui causa beaucoup de chagrin, mais la nomination de Cédric le réjouit aussitôt. Il aimait bien cet homme, malgré tout ce dont on l’avait accusé par le passé.

— Mettez-moi en communication avec monsieur Orléans.

— TOUT DE SUITE, MONSIEUR SHANKS.

Quelques secondes plus tard, le visage de Cédric apparut sur l’écran géant.

— Je suis soulagé de te voir vivant, Christopher. Avez-vous subi beaucoup de pertes ?

— Tout le personnel est sauf, mais les dommages matériels semblent assez étendus. Avant de continuer à parler de choses déprimantes, je tiens à te féliciter. Mithri a choisi le meilleur d’entre nous pour lui succéder.

Shanks voulut ensuite savoir si le phénomène géologique avait vraiment frappé tous les autres pays et Cédric lui transmit l’information qu’il possédait à ce sujet.

— Mais ce n’est pas le plus grave de nos problèmes. Un astéroïde se dirige tout droit vers la Terre et les nations qui possèdent des missiles ne peuvent procéder à un lancement, car leurs silos sont inutilisables. Si nous ne réagissons pas très bientôt, nous serons tous exterminés.

— J’imagine que tu veux savoir dans quel état sont les miens.

— Oui, dans quel état et si tu as la capacité de lancer une fusée sur une cible dans l’espace d’ici une semaine.

— Ordinateur, avons-nous un visuel ?

Plusieurs images des installations de défense apparurent sur les écrans autour du visage de Cédric.

— À première vue, nos silos semblent avoir moins souffert que la base. Je vais quand même me rendre sur place afin de te faire un rapport plus exact.

— Appelle-moi dès ton retour.

— C’est promis, monsieur le directeur international. L’ombre d’un sourire apparut sur les lèvres de Cédric avant que son visage disparaisse de l’écran central.

 

Absinthium
titlepage.xhtml
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Robillard,Anne-[A.N.G.E.-7]Absinthium(2010).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html